Rédiger une nouvelle à partir d’un fait divers 

Il s’agit de bâtir une intrigue à partir de faits réels et de faire vivre un récit.

Consigne d’écriture :

Rédiger une nouvelle en s’inspirant de faits réels. Limiter le nombre de vos personnages à trois. Peaufiner la fin en créant soit la surprise, soit l’horreur. 

 

 

Le mystificateur

 

— Je vous le répète madame Rey, on était en train de regarder un film quand nos téléphones se sont mis à sonner à tout va. Des dizaines de Tweet, des messages Facebook… ça ne s’arrêtait plus ! Cédric est resté un moment à lire les messages et d’un coup, il a pris sa veste et il est parti. Me plantant là, sans explications. Je ne l’ai revu qu’une semaine plus tard… à la Télévision ! Je vous dis pas la surprise. Surtout quand j’ai compris pourquoi il y était.

— Mais enfin, qu’est-ce qu’il a fait durant toute cette semaine ?

— Ce que vous avez lu dans la presse, lui répond Max, le colocataire de son fils, en montrant un magazine sur la table. 

Un gros plan de son fils Cédric, est en couverture de l’Express, avec pour gros titre : « L’itinéraire mensonger d’une victime ordinaire ». Elle tourne les pages sans les voir. Elle les a déjà lu cent fois. Celles-ci et beaucoup d’autres. Sur dix pages, l’article résume le coup de folie de son fils. Comment il s’est fait passer pour une victime de l’attentat du Bataclan. Les histoires sordides qu’il a raconté sur la soirée : la tuerie ; les victimes. Puis les interviews qui se sont enchaînés. Son engagement dans l’association « Life pour Paris ». Sa tentative d’escroquerie auprès du Fond de garantie des victimes d’actes de terrorisme. Et pour finir, la descente aux enfers : la mise en évidence des incohérences de son histoire. Les mensonges et enfin ses aveux où il raconte « avoir franchi une limite impardonnable ». 

« Quel gâchis ! Si seulement j’avais été là, j’aurai pu empêcher tout ça » se dit la mère. Mais elle était à l’autre bout de la planète. En retraite dans un monastère, au fin fond de la Mongolie. Totalement coupée du monde. Elle n’avait eu vent de toute l’histoire qu’à son retour à la civilisation, des semaines plus tard. « Quel gâchis ! » se répète-t-elle.

Un procès va avoir lieu. Cédric sera probablement condamné à une peine de prison, et ce ne sera que justice. Ce qu’a fait son fils est impardonnable. Duper des dizaines de pauvres gens accablés de chagrin, est ignoble.

Elle ne comprend pas. Au-delà de l’infamie de Cédric, du mal qu’il a pu faire, c’est ce qui est le plus douloureux : ne pas comprendre.

 

On lui a permis de voir son fils mais il n’a pas expliqué son geste. Il est honteux, rongé par le remord mais il n’explique rien. Il répète en boucle qu’il a été obligé. Qu’il a été pris dans une spirale et qu’il n’a plus pu faire machine arrière.

Cédric a été vu par des psychologues mais rien n’en est ressorti. La folie ou un trouble de la personnalité aurait pu expliquer son geste, mais ce n’est pas le cas. Il n’y a rien. Rien pour lui permettre de comprendre. Et elle, elle a besoin de ça. Comprendre pour peut-être accepter.

Alors elle a fait ses propres recherches. A consulté des spécialistes du comportement humain. Beaucoup n’ont pas pris le risque d’aller à l’encontre de leurs confrères. D’autres ont avancé des pistes telles que la recherche de la célébrité. Il s’agirait semble-t-il d’un nouveau phénomène d’époque. Les « usurpateurs » comme on les appelle, recherchent une forme de reconnaissance en se faisant passer pour une victime. Ce statut leur apporte empathie et compassion, et vient en quelque sorte compenser l’attention qu’ils n’ont pas eu par ailleurs. Quand le psy lui a expliqué ça, madame Rey a fondu en larmes. C’est de sa faute ! « T’as bien fait de bourlinguer à travers le monde ! T’aurais mieux fait de t’occuper de ton fils ! » se répéte-t-elle souvent.

Elle dort peu et mal. Depuis quelques jours, elle est sous anti-dépresseurs. Sa vie est devenu un enfer. Le sentiment de honte ne la quitte plus et lui ronge l’âme. Il lui faut subir le regard des voisins, des amis, ou plutôt ex amis. Les insultes. Les coups de fil au milieu de la nuit… Hier, elle a retrouvé sa voiture les quatre pneus crevés. Elle n’en peut plus. C’est trop pour elle. Pourtant il faut qu’elle soit forte pour aider Cédric à surmonter cette épreuve. « Tu as été tellement absente, pour une fois, sois une mère ! » s’encourage-t-elle. La dernière fois qu’elle a vu Cédric , il avait une mine horrible et avait beaucoup maigri. A ce rythme, il ne tiendrait pas longtemps.

 

— Madame Rey, il faut que vous veniez à la maison. J’ai quelque chose à vous montrer.

Elle n’a pas vu Max depuis plusieurs jours et l’urgence qu’elle sent dans sa voix ne lui dit rien qui vaille.

— Que se passe-t-il Max ?

— Venez, vite !

Troublé par le ton mystérieux de Max, elle se prépare rapidement et se précipite dehors.

— Alors, que se passe-t-il ?

— En rangeant des affaires, je suis tombé sur ça.

Max lui tend une boite à chaussures dont le couvercle est retenu par un gros élastique.

Madame Rey jette un regard interrogatif au jeune homme.

— Vous devriez vous asseoir, lui dit-il en réponse.

— Max, tu me fais peur !

Elle fait sauter l’élastique et soulève doucement le couvercle. Elle reste un long moment à regarder à l’intérieur. Max, figé à ses côtés, ne dit rien. Il sait. Comme lui, elle passe successivement de la surprise à l’interrogation, puis du doute à l’incompréhension, jusqu’à ce que la vérité s’impose. Dure. Cruelle.

Elle plonge une main tremblante dans la boite. Du bout des doigts, elle effleure la couverture en cuir patiné par le temps et les manipulations. Elle suit les circonvolutions des enluminures dorées puis pose sa main à plat sur le livre sacré. Lire son nom est au-dessus de ses forces. Elle sent sa raison vaciller.

Elle lève les  yeux sur Max. Une unique larme roule doucement sur sa joue.

— Max, dis-moi que ce n’est pas vrai. Je t’en prie ! Dis-moi qu’il est pas tombé là-dedans.

Le jeune homme, bouleversé, se détourne et quitte la pièce.

Maintenant elle sait. Elle comprend. Mais cette lumière est pire que les ténèbres dont elle vient de sortir.