Composer une nouvelle fantastique 

Le fantastique, c’est l’intrusion de l’anormalité dans un quotidien banal. Une anormalité dérangeante entraînant bien souvent des conséquences dangereuses.

L’objectif affiché est de ficher la frousse au lecteur, instiller un malaise. Si on peut accessoirement le terroriser, voire lui procurer des cauchemars, c’est encore mieux.
Le fantastique est un genre qui demande d’appuyer là où ça fait mal, quitte, parfois, à basculer dans l’horreur pure, cette dernière demeurant toutefois un genre à part entière.

Le fantastique ne fait cependant pas systématiquement appel à la brutalité et convoque en ses pages la notion de perte de repères, d’inversion des règles admises, et
prend un malin plaisir à dérouter son lecteur.

 

 

Le pyromancien

 

L’homme était un peu fébrile. Il avait attendu avec impatience tout le mois d’août. Et puis ce matin, enfin, la délivrance. Le mistral s’était levé. Exprimant en longues rafales toute sa puissance, toute sa violence.

Il ressentait l’excitation dans tout son corps. Il aimait tout particulièrement ce moment, avant de passer à l’acte. Prendre son temps. Apprécier chaque seconde, intensément. Faire durer le plaisir jusqu’à l’embrasement final ! C’était comme faire l’amour. En plus intense. 

 

Sa voiture était garée le long de la route, déserte à cette heure avancée de la nuit. Il avait évité le sentier et s’était directement engagé dans la forêt, au milieu des buissons et des arbres.

Sous les rafales de vent, les pins se balançaient en cadence et l’on entendait les troncs grincer tandis que les aiguilles tombaient en pluie sur le sol. Une lune montante apportait le peu de lumière dont il avait besoin pour se diriger. Les conditions étaient parfaites. Cela allait être grandiose.

L’homme s’arrêta un instant et posa le jerrican pour soulager son bras ankylosé. Comme s’il révisait une leçon, il se remémora le rituel : Il allumerait d’abord un tout petit foyer qu’il garderait sous contrôle. Puis il invoquerait ses guides et interpréterait les signes dans les flammes. Enfin, pour les remercier, il leur offrirait la forêt en sacrifice. Un frisson d’extase le parcouru. Il saisit le jerrican et s’enfonça entre les pins.

L’homme n’avait pas fait dix mètres, qu’un craquement de bois le surprit. On aurait dit le bruit d’une branche qui se brise sous un pied. Instinctivement il se tapit au sol, retenant son souffle. Il regarda autour de lui mais ne vit rien de suspect. « Juste un animal de nuit », se rassura-t-il. Par précaution il attendit une minute, puis après un dernier regard circulaire, il se releva et reprit son chemin.

Bien que rassuré, l’homme marcha néanmoins avec plus de précautions, cherchant à faire le moins de bruit possible, les sens en alerte. Soudain derrière lui, il entendit un souffle. D’abord ténu, il s’amplifia en se rapprochant, pour devenir un râle, sourd et puissant. Il semblait fondre sur lui. L’homme se figea, tétanisé. Il ferma les yeux et rentra la tête dans les épaules, comme pour attendre un choc. Mais rien ne vint. Le souffle passa au-dessus de lui et alla se perdre au cœur de la forêt.       « C’était quoi ça ? » se demanda-t-il, le cœur battant à tout rompre. L’homme n’eut pas le temps d’y réfléchir. Un cri déchira brusquement la forêt. Une longue plainte s’étirant dans la nuit. L’homme se laissa tomber au sol, regardant en tous sens autour de lui. « Putain, on aurait dit un cri humain ! ». Blotti contre une souche, il lutta contre la crise de panique qui le gagnait. Il prit de  profondes inspirations et attendit que la vague reflue progressivement. Son cœur reprit son rythme normal et peu à peu, il recouvra ses esprits. « Faut te calmer mon gars ! Faut pas te faire des films pareils ! T’es dans une forêt, il y a des prédateurs nocturnes avec toi. Alors zen, ok ? ».

Quelque peu revigoré, l’homme reprit son chemin en slalomant entre les arbres, évitant les racines et enjambant les branches mortes. Il était en train de se dire que c’était la pression du grand jour qui le rendait nerveux quand le craquement d’une branche derrière lui stoppa net ses pensées. Toute l’appréhension qu’il venait de chasser, lui retomba dessus comme une chape de plomb. Il se jeta derrière un arbre, l’esprit en feu. « Merde, il y a quelqu’un ! ». Plaqué contre le tronc, il se pencha pour regarder derrière lui. Sa bouche s’ouvrit de surprise et il sentit la main glacée de la peur lui étreindre le cœur. Il ne voyait plus les arbres ! Inexplicablement, la forêt baignait maintenant dans une obscurité quasi totale. Il sentit un vent de panique l’envahir. Son instinct lui disait que quelque chose ne tournait pas rond. Il fallait se tirer d’ici. Vite ! Totalement affolé, Il lâcha le jerrican et s’élança dans la nuit. Les ronces déchiraient ses vêtements et les branches lui fouettaient le visage, lui arrachant à chaque fois un cri de peur autant que de douleur. La forêt était plus dense. Les arbres lui barraient la route et il ne savait plus très bien où il était. Il eut la vague sensation qu’il s’égarait et cela le terrorisa. Dans sa course, une branche s’accrocha à son polo et le retint un instant. Terrifié, l’homme hurla en se débattant pour se dégager. Les larmes roulaient sur son visage. Il tanguait d’un arbre à l’autre, tantôt jurant tantôt suppliant. Son pied se prit soudain dans une racine et déséquilibré, l’homme s’écroula face contre terre. A bout de nerf, il resta un instant sans bouger, comme prêt à renoncer. Puis, péniblement, il se redressa et se mit à genoux. Lorsqu’il releva la tête et qu’il vit l’inconcevable se dérouler sous ses yeux, sa bouche s’ouvrit sur un cri silencieux et sa raison bascula. Des lianes de plantes grimpantes avançaient vers lui en louvoyant sur le sol tels des serpents. Il tenta de reculer mais une branche s’abattit dans son dos, le plaquant durement au sol. Il hurla comme un dément. Un long cri déchirant. Il ne put retenir sa vessie et sentit le liquide chaud, inonder son bas ventre. Il pleurait, la morve coulait dans sa bouche tandis qu’il implorait pardon mais irrémédiablement les lierres et les ronces s’enroulaient autour de ses membres. L’espace d’un instant, plus rien ne bougea et le silence retomba sur la forêt. L’homme n’eut pas le temps de reprendre espoir. Les lianes se tendirent brusquement et tout son corps s’enfonça progressivement dans les aiguilles de pin et l’humus. Les lianes et les racines le tiraient dans le sol. La forêt l’absorbait. Sa poitrine rencontra le sol et la pression lui coupa le souffle. Ses mains et ses pieds pénétraient lentement dans la terre meuble. La douleur était atroce. Il ouvrit la bouche pour hurler mais aucun son ne sortit. La terre emplissait déjà sa gorge.