La nouvelle d’inspiration biographique  

Cette consigne demandait de raconter un épisode de sa vie en se mettant en scène. Il était également demandé de soigner tout particulièrement la phrase d’accroche et la dernière, qui se doit d’être marquante. 

 

Qu’importe le flacon

 

— Tu vas être grand-père.

— Quoi ?

— Tu vas être grand-père ! me répète mon fils sur un ton où pointe l’amusement.

— Sérieux ? Sophie est enceinte ? Mais c’est une super nouvelle ! T’entends ça chérie ? On va être grands-parents ! Fais péter le champagne !

Je bondis de ma chaise et me précipite à la cave. « Je vais être grand-père ! Mon fils va être papa ! Mon fils. Papa ! ».

Je repense à moi, à peu près au même âge que lui aujourd’hui, et l’aventure que cela avait été pour l’avoir. Lui. Il me semble encore entendre le médecin.

— Votre épouse a déjà eu deux enfants de son premier mariage, à priori le problème est plutôt de votre côté ! Nous allons commencer par vérifier si tout va bien physiologiquement. OK ?

Quelques jours plus tard, je me retrouve dans un centre spécialisé, pour passer un spermogramme.

Je suis là à patienter, méditant sur l’idée saugrenue, mais ô combien excitante, qu’une belle infirmière vienne m’aider à faire mon prélèvement, quand mon nom résonne dans la salle d’attente. Tout émoustillé, je me lève, animé d’une toute nouvelle motivation.

Celle-ci retombe bien vite lorsque j’aperçois la propriétaire de la voix. Derrière son comptoir, un ovni. La dame, enfin… me semble-t-il, est moche à faire peur et l’intérieur de sa bouche ressemble à une maison abandonnée. Tout est de guingois et ça sent le renfermé.

— Le box se trouve tout au fond du couloir, me dit-elle en montrant sa droite avec un flacon.

Je pousse la porte pour me retrouver dans une pièce aux murs blancs immaculés, sans aucun agrément. Au milieu, trône une petite table sur laquelle sont éparpillées quelques revues. Une chaise en plastique orange complète le tableau.

Pour l’ambiance érotique, c’est râpé ! Heureusement, il y a les magazines. Je me plonge immédiatement dans la pile de bouquins à la recherche d’un livre « cochon », susceptible de réveiller ma libido en berne.

Malheureusement pour l’essentiel ce sont des revues féminines. Beaucoup de Elle mais aucun Lui. Curieusement, je découvre dans le tas, un numéro du Chasseur Français ! « Qu’est-ce qu’un journal pareil fait ici ? Pour les zoophiles peut-être ? ».

En fouillant, je finis par découvrir un, pas deux, un exemplaire de Playboy. « Merci Hugh Hefner, tu me sauves la mise ! ». En le prenant en main, je comprends qu’il a déjà beaucoup servi. Le papier est froissé et par endroit les couleurs sont délavées par les nombreuses manipulations.

Je l’ouvre directement à la double page centrale. Celle qui accueille la beauté du mois. THE Playmate !

Je n’ai pas été déçu. Ah la tronche de la playmate ! En lieu et place de l’habituelle créature de rêve, je trouve un gros beauf en tenue de pêcheur, exhibant un sourire édenté et une énorme truite au bout de sa canne.

— C’est pas vrai !

Un petit malin avait chourré le poster !

— Enfoiré !

Dépité, je feuillète le bouquin pour constater que les pages utiles à ma cause sont soit manquantes, soit collées entre-elles ! Écœuré, je laisse tomber le magazine sur la table et mes fesses sur la chaise.

Heureusement, j’ai de la ressource. Je ferme les yeux et commence à songer à Chloé, ma voisine.

Il aurait été de bon ton de penser à ma femme, mais ma voisine est un avion de chasse, hyper sexy et chaude comme une baraque à frites, à en croire la rumeur. J’opte donc pour la facilité et l’efficacité. Tant pis pour la morale, la fin justifie les moyens.

Je m’abandonne dans les bras de Chloé quand mon regard s’arrête sur le flacon que m’a donné madame Pierrafeu. Sur le coup, cela ne m’avait pas frappé, mais là… le problème paraît évident. Le récipient est long et étroit et tient plus de l’éprouvette que du bol. « Comment vais-je faire pour remplir ce truc ? Chaque chose en son temps, on n’en est pas encore là », je me rassure. Et je ferme les yeux pour replonger dans le décolleté de ma voisine.

— Eh bien vous en avez mis du temps ?

« Il manque pas d’air le troll des cavernes ! Qu’est-ce qu’elle croit, que je me suis amusé ? ».

— J’étais en panne d’imagination ! je réponds en lui tendant l’éprouvette.

Elle saisit le flacon, jette un œil dessus et relève aussitôt la tête vers moi.

— C’est tout ?

« C’est tout ? Ben non, le reste est collé contre le mur, connasse ! T’aurais dû me donner un récipient plus petit ! je marmonne plein de colère ».

— Qu’est-ce que vous racontez ? beugle la mégère

— Heu… le flacon n’est pas pratique, j’ai fait ce que j’ai pu.

— Mouais… ils disent tous ça, ironise-t-elle.

« Vas-y rigole mocheté ». 

 

Une semaine plus tard, nous sommes assis, mon épouse et moi, dans le cabinet du professeur « ès fécondité ». Pendant qu’il lit les résultats de mon examen, je repense à tout ce que l’on a déjà fait pour tenter d’avoir un enfant. Les régimes, le poirier après avoir fait l’amour. Calculer les jours d’ovulation et avoir un maximum de rapports sur la période. Un ami africain nous avait même proposé de sacrifier un bouc une nuit de pleine lune, et ensuite manger ses testicules. Mais ça, on ne l’avait pas fait. On n’avait pas trouvé de bouc !

Jusque-là, rien n’avait fonctionné. Mais nous restions confiants. On croyait en notre bonne étoile. Ça finirait bien par marcher un jour ou l’autre ! Et puis là, le toubib a l’air zen. Son visage est serein, souriant. Ça sent le parfum de la victoire.

Enfin, le professeur pose les résultats sur son bureau. On y est, il va nous dire que tout est OK. Qu’il faut juste être patients ! Le baratin habituel quoi !

Il lève la tête, nous regarde tour à tour avec un beau sourire aux lèvres et lâche :

— Vous avez déjà envisagé l’adoption ? 

FIN