Rédiger une nouvelle à partir de contrainte  

Un peu à la manière de la liste de mot (Space Invaders), il est ici demandé de rédiger une nouvelle « noire » sur le mode d’un dérivé du logo-rallye : « Le logo-rallye consiste à écrire un texte, un récit le plus souvent, en utilisant obligatoirement et parfois dans l’ordre des mots trouvés au hasard. »
La nouvelle comportera au moins un mort ou une morte.
Ces mots ou groupes de mots sont imposés. et peuvent être inclus dans l’ordre ou le désordre :
– un billet de cent francs belge
– un chronomètre
– un stylo plume
– une enveloppe
– un clou
 

Trahison

 

La lame s’enfonce doucement entre ses côtes. Cela ne fait pas mal. Un vertige et une sensation de froid le saisissent et il comprend que cette fois, c’en est fini. Dans le regard de l’homme qui scelle son destin, aucune haine. « Rien de personnel, c’est le business aurait-il pu dire ». Mais déjà il n’entend plus rien.

Assis à son bureau, stylo plume à la main, Marco est en train de rédiger  l’adresse au dos d’une enveloppe. Il la cachette, la pose avec le reste du courrier, puis se rend à la fenêtre. Son regard embrasse la ville. Sa ville.

Il songe aux décisions à prendre concernant l’organisation. Anvers est sous son contrôle : filles, alcool, drogues, jeux… Rien ne lui échappe. Mais depuis quelques mois, un vent de révolte souffle sur son clan. Certains lieutenants grondent et contestent son autorité, ses choix. Des clans se forment. Le caïd sait qu’il n’a que trop attendu. Il est grand temps de reprendre tout ça en main.

— Bonjour patron, dit Max en entrant dans le bureau.
— Salut Max, tout va bien ?
— M’ouais…
Le caïd interroge son sbire du regard.
— C’est Fred, il y a un problème.
— Quel genre de problème ?
— Il roule pour lui.
— Les filles ?
— Non la dope.
Marco regarde attentivement son bras droit. Ils se connaissent depuis longtemps. Autrefois, Max avait été une petite frappe de quartier. Un jour il était tombé sur plus fort que lui et laissé pour mort dans une impasse. Marco l’avait trouvé et pris sous son aile. Il s’était occupé de lui comme l’aurait fait un père. C’était il y a vingt ans. Aujourd’hui Max est son second et probablement le seul homme en qui il a totalement confiance.
— Il s’y prend comment ? questionne Marco.
— Le plus simplement du monde. Il achète plus de coke et vend pour son propre compte.
— T’es sûr ?
— Certain.
— Putain de merde ! s’emporte le caïd en frappant de la main le chambranle de la fenêtre. Un lieutenant qui me double, il manquait plus que ça ! Puis se reprenant. Il faut régler le problème au plus vite. Je ne peux pas laisser bafouer mon autorité. Surtout en ce moment. On va faire un exemple, ça rappellera à tout le monde qui est le patron.
Marco retourne à son bureau, ouvre un tiroir et en sort un couteau d’une taille imposante.

— Je vais lui raser sa barbichette à la James Ensor à cette crevure !

— James qui ? questionne Max.

— James Ensor. Putain, Max ! Tu vois sa tronche tous les jours sur les billets de cent francs Belges ! Bon laisse tomber, on y va.

Quelques minutes plus tard, Max gare la grosse cylindrée Allemande devant l’entrepôt et jette un œil sur sa montre chronomètre.

— Il est presque neuf heures. Fred doit être seul à cette heure.

— Alors on y va. Qu’on en finisse, répond le caïd en sortant du véhicule.

 

Fred est bien là, affairé autour de quelques caisses. Les clous qui ferment les couvercles ont été arraché, révélant leur précieux contenu.
— Salut, t’es tout seul ? lance Marco
Fred se retourne, regarde brièvement les visiteurs puis la porte derrière eux, comme s’il vérifiait qu’ils soient seuls.
— Bonjour patron. Ouais les gars ne seront pas là avant une heure, répond Fred en échangeant un regard appuyé avec Max.

— T’as pas l’air surpris de me voir ? Tu m’attendais ? continue le caïd

— Non. Mais vous êtes chez vous patron, c’est normal que vous passiez quand vous voulez. C’est toujours un plaisir de voir le boss sur le terrain, rétorque Fred d’un air malicieux.
— T’es un petit malin toi, hein ? répond Marco avec un sourire ironique.

Puis se faisant plus dur, d’un ton où transpire la menace : 

— Ne le fais pas trop avec moi. Tu attends sûrement ton heure pour mener tes propres affaires, mais pour le moment, le patron c’est moi et toi, tu fais ce qu’on te dit.

— Pour le moment c’est vous le boss, répond Fred ignorant la menace.

Le caïd lui lance un regard noir et s’approche du chargement.

— C’est la livraison de cette nuit ?
— Ouais. Deux tonnes comme prévu.
Le caïd tourne autour des palettes, couvertes de cocaïne, soigneusement emballée dans de petits paquets.
 — Tu sais, même si je ne viens plus sur le terrain aussi souvent que je le devrai, j’ai longtemps fait ce turbin et je sais encore estimer une quantité. Au bas mot, je dirai que là, il y a au moins cent kilos de plus.
Et d’un geste rapide, le caïd empoigne Fred par le cou et le pousse contre le mur derrière lui. La lame de son énorme couteau jaillit de sa main droite.
— Fini de rigoler petite merde. Je suis au courant de ton trafic dans mon dos. Tu croyais pouvoir m’endoffer longtemps ?
Fred a le visage congestionné et commence à étouffer. Dans un geste désespéré, il appuie son pied contre le mur et se pousse en avant. Le caïd, surpris, part à la renverse et relâche sa prise. Fred en profite immédiatement en lui décochant un terrible crochet à l’estomac. Marco plie sous la violence du coup et machinalement porte ses mains à son ventre. Profitant de son avantage, Fred lui tord le poignet et récupère le couteau. Il saisit le caïd par les cheveux et le redresse, l’air mauvais.
— Oui je trafique dans ton dos, vieux schnock. Et la coke, c’est qu’une partie. Si tu veux tout savoir, je suis en train de mettre en place de nouveaux business. Plus lucratifs. Pour toi c’est fini. Tu tires ta révérence aujourd’hui. Je vais tout reprendre en main et toi, tu fais pas partie du projet.
— Pauvre fou, tu sais qui je suis ? Tu crois pouvoir t’en tirer comme ça ? Max ! hurle le caïd.
Max qui était resté en retrait jusque-là s’avance vers les deux hommes. Il regarde Fred droit dans les yeux et dit d’un ton ferme :
— Donne-moi le couteau.
Les deux hommes se font face. Ils échangent un long regard dans lequel chacun semble évaluer l’autre, mesurer sa détermination. Au bout de quelques secondes, comme saisi par une inspiration, Fred tend le couteau à Max qui s’en empare. Un sourire carnassier s’étire sur le visage du caïd. Il se redresse, prêt à savourer sa victoire. Le couteau à la main, Max regarde un instant son boss, son ami. Puis Fred à qui il dit :

— C’est pas à toi de faire ça… Patron.

 

 QUESTION : Vous avez repéré les mots clés ? Encore une fois, j’espère que ce n’est pas la cas, car cela veut dire que j’ai bien fait le job.