Construire l’intrigue d’une histoire  

L’art de conter, c’est exercer le pouvoir de captiver. Ce que s’efforce de réussir chaque auteur. Sans méthode, la tâche est ardue et décourageante. 

Un récit est créé par la séparation du destinataire et de l’histoire. Celui-ci ne peut la connaître que par un narrateur et une narration. La description, le dialogue, le discours, le monologue intérieur tentent de franchir cette distance habituellement temporelle.
Un récit étendu est formé de plusieurs épisodes, dont l’enchaînement constitue une intrigue. Le fil directeur de celle-ci est souvent l’évolution des attitudes ou des caractères, ce qu’on appelle l’action. Le rythme du récit est déterminé par la durée des épisodes. La péripétie est un revirement de l’action dans un sens inverse à celui de l’épisode précédent. Le rebondissement est un nouveau développement, qui retardera le dénouement. La diversion est un événement qui change le cours de l’action. Le coup de théâtre est une modification spectaculaire et inattendue de l’action. L’épilogue est un récit de ce qui passe après le dénouement. 

L’exercice :

Faire le récit de la nouvelle à écrire. Raconter toutes les étapes de fabrication du texte. Préciser quelle est l’idée de départ, ce qui donne envie de l’écrire. Définir les personnages, l’époque, le lieu géographique et social dans lesquels ils évoluent. Imaginer quelques bribes de leur passé, leurs rêves, leurs blessures. Réaliser leur portrait. Dresser la liste chronologique des événements, péripéties, qui animent les personnages. Se pencher ensuite sur la stratégie à utiliser pour passionner le lecteur. Quelles émotions souhaite-t-on créer et à quels moments ? Essayer plusieurs combinaisons pour raconter des événements que l’on a jugé essentiels à l’histoire, du point de départ à l’aboutissement de la situation. Analyser également ce qui doit rester dans l’ombre et ce que le lecteur doit absolument savoir pour comprendre la narration. Enfin, choisir sous quelle forme exploiter chaque événement : dialogue, description, récit, monologue intérieur.

Idée de départ : L’affaire Weinstein qui fait débat dans les médias et qui génère d’ardentes discussions. (J’ai fait cet exercice littéraire quelques semaines après l’affaire Weinstein)

Le 5 octobre 2017 le New York Times révèle des faits de harcèlement sexuel de la part d’Harvey Weinstein à l’encontre de nombreuses actrices. L’affaire prend rapidement de l’ampleur et les langues se délient. De nombreuses actrices révèlent avoir été victime de celui qui est décrit comme un « prédateur ». Actrices américaines, françaises, nombreuses sont celles qui ont dû subir ses assauts. Par un effet domino, d’autres affaires sortent et de nombreux hommes « publics » sont accusés d’abus sexuel et de harcèlement.

 

Pourquoi ce sujet : Parce qu’au-delà de l’acte répréhensible, plusieurs questions se posent, notamment celle du déballage en place publique sans distinction du vrai et du faux. Les réseaux sociaux relayant l’info à grande vitesse, la réputation d’un homme est jetée en pâture à la plèbe en quelques minutes. Profitant de l’opportunité qui est donnée, il y a peut-être des gens qui règlent leur compte. La justice et les procès se font sur Twitter ! Même si les faits sont avérés, beaucoup de choses à dire sur le traitement médiatique de la situation. On a l’impression de revenir à l’époque du « lynchage ».

 

Les personnages principaux :

  • Paul : environ 45 ans, marié à Rose depuis une vingtaine d’années, 2 enfants. Sous couvert d’ouverture d’esprit, c’est un homme profondément macho, aux idées bien tranchées et très attaché aux traditions. Il roule français et vote « très à droite ! ». « Avant c’était forcément mieux ». Il tient sa petite famille d’une main de fer. C’est le chef de famille dans toute sa splendeur et c’est lui qui prend les décisions. Il est responsable dans un supermarché et travailler avec des « gonzesses » c’est la galère !
  • Rose : la quarantaine elle est l’épouse de Paul. C’est une femme plutôt effacée, mince et pas très féminine (Paul le lui interdit!). Elle a passé sa vie à s’occuper de son foyer et sa famille. Mais maintenant les enfants sont grands et n’ont plus besoin d’elle. Elle s’ennuie. Elle est totalement soumise à Paul qu’elle admire d’une certaine façon car il lui rappelle son père ! Elle rêve d’une autre vie, d’un travail, gagner son argent, en faire ce qu’elle veut, s’acheter de beaux habits, séduire, mais elle n’ose pas affronter Paul, alors elle subit en silence en s’imaginant une autre vie à l’image des héroïnes des romans qu’elle lit. Heureusement ses amis de toujours sont là.
  • Léa : La quarantaine, elle est marié et a 2 enfants. C’est une femme de son époque, active, libérée, elle conjugue bien : travail, enfants et mari. C’est une femme épanouie et heureuse. Elle a un poste à responsabilité dans une grande entreprise et se bat pour que les femmes aient la place qu’elles méritent dans la société. Belle et féminine, elle se fait régulièrement draguer et la « pression » des hommes n’est pas toujours facile à gérer. Elle doit se battre pour faire valoir ses qualités et ses compétences professionnelles.
  • Fred : La quarantaine aussi. Célibataire et homosexuel. Il est grand, mince, plutôt pas mal de sa personne. Il est dans l’enseignement et a l’habitude des débats d’idées avec ses élèves. Il leur apprend notamment à être responsable, à se forger une opinion personnelle par la réflexion. A être dans la modération, la tempérance, le monde n’est pas blanc ou noir. C’est un homme posé, calme, réfléchit. Il se dégage de lui une grande sérénité, une espèce de force tranquille. Une personne qui passe plus de temps à écouter qu’à parler. Il aborde souvent les sujets avec beaucoup de hauteur. Il n’est pas dans l’émotion mais dans la réflexion. C’est un homme modéré, un médiateur.

Rose, Fred et Léa se connaissent depuis l’école et sont amis. Malgré tout ce qui les sépare et leurs engueulades, ils s’aiment.

Paul est une pièce rapportée par Rose. Fred et Léa sont partagés sur son compte. Il a un côté insupportable par son côté ultra et sa vision du monde, et en même temps ils ont envie de le changer. Il a aussi un côté attachant et surtout ne se fâche jamais. Et puis c’est le mari de Rose, donc il faut aussi faire avec !

 

L’époque et le lieu : nous sommes en novembre 2017. L’affaire fait la une des journaux TV. Des femmes qui révèlent des faits passent tous les jours dans les talk-show. Les débats sont animés et divisent l’opinion entre ceux qui pensent que cette affaire va faire bouger les lignes et ceux qui prétendent que tout ceci est exagéré.

La scène se déroule chez Rose et Paul, au cours d’un apéro dinatoire. Nous sommes un vendredi soir, la semaine est finie, on se décontracte et on discute…

 

Les émotions : Les personnages étant très contrastés, il devrait y en avoir pour tous les goûts et chaque lecteur devrait s’y retrouver ou se reconnaître dans l’un ou l’autre.

  • Amener un courant d’empathie pour Paul de la part de tous les machos, conservateur, de la part de ceux qui pensent que les « bonnes femmes » sont bonnes qu’à rester à la maison et qu’après tout « une main au cul… », ça va ! C’est pas grave ! Les sentiments seront donc de l’affection, de la solidarité, de l’empathie.
  • A contrario, les autres : femmes, féministes, les hommes Mennen (lol!) doivent le détester pour ses positions radicales, d’un autre temps. Ce sera donc haine et colère, désespoir et incompréhension devant tant de conneries. 
  • Empathie et compassion pour Rose femme soumise de la part d’une partie des lecteurs (trices). Et mélange de révolte (bouge toi!) et de fatalité (c’est bien fait pour toi…) de la part des autres

 Léa devrait susciter l’adhésion des femmes, et un peu de sentiment d’injustice quand elle a des propos durs pour son amie. Empathie, admiration, approbation. Les machos et les rétrogrades devront la détester : colère, haine, mépris

 Fred le médiateur va partager les opinions. colère et révolte chez les « ultras » femmes et hommes réunis parce qu’il pense que les responsabilités sont partagées. Il pourrait faire évoluer l’opinion de certains en les amenant à reconsidérer leurs positions tranchées.

 

Chronologie des événements : 

1, Les quatre amis sont à l’apéro, ils passent un bon moment

2, la conversation dévie sur l’affaire Weinstein… celle-ci est lancée par Rose. Inopinément ?

3, Paul prend tout de suite position sur le sujet. Les femmes sont responsables de ce qui leur arrive. Il en fait la démonstration.

4, Léa s’oppose à lui et avance ses arguments.

5, Léa souhaiterait que Rose l’aide à s’en sortir mais comme ce n’est pas le cas, elle la prend à partie et a des propos très durs à son encontre. En parlant à Rose, elle s’adresse à Paul et énonce quelques vérités qu’elle a sur le cœur.

6, Devant la violence des propos, Fred intervient et se mêle à la conversation en apportant un autre regard sur la situation. En la nuançant et ramenant chaque protagoniste à ses responsabilité.

La fin est à découvrir !

 

 

Cinquante nuances de gris

 

— Tu as vu qu’il y a même des hommes qui portent plainte ? dit Rose en s’adressant à son amie Léa.

— Ouais même les pédés s’en mêlent ! coupe Max avant que Léa n’ait le temps de répondre.

— Max s’il te plaît ! le gronde Rose en lui jetant un regard appuyé.

— C’est pas grave Rose, j’ai l’habitude intervient Fred. Surtout venant de ton mari. On sait tous que la délicatesse c’est pas son truc, hein Max ?

 Plusieurs fois par mois, ils se retrouvent pour dîner ou simplement prendre l’apéritif comme ce soir chez Rose et Max. Les filles et Fred se connaissent depuis l’enfance. Ils ont fait toute leur scolarité ensemble et ne se sont jamais quittés. Max a rejoint le groupe plus tard en épousant Rose.

— En tout cas depuis que l’affaire Weinstein a éclaté, les langues se délient. Ça balance à tout va ! ironise Max. Il y a une semaine les femmes l’encensaient,  aujourd’hui les mêmes le traitent de porc. Quelle bande de connasses !

— Comment ça bande de connasses ? explose Léa. Tu ne te rends pas compte de ce que ces femmes ont subi !

— Tu parles ! Ça leur a plutôt bien réussi non ? Elles sont toutes riches et célèbres. C’est facile de balancer maintenant ! Pourquoi elles l’ont pas fait avant ?

— Parce que tu crois que c’est facile de parler ? D’avouer que tu as été harcelé, agressé ? D’autant plus quand ta carrière est en jeu !

— Ah nous y voilà ! la coupe Max. La carrière !

— Quoi la carrière ? interroge Léa.

— C’est toujours la même rengaine ! Ces gonzesses montrent leurs culs dans les magazines ou baisent avec les producteurs pour percer dans le métier et une fois que c’est fait, elle jouent les vierges effarouchées !

— Ah parce que tu crois vraiment que c’était leur volonté de coucher avec cet enfoiré ? Tu crois que Weinstein leur a laissé le choix peut-être ? répond Léa hors d’elle.

— On n’en sait rien, c’est parole contre parole. Mais peut-être que si elles avaient eu du talent…

— Du talent ! crache Léa rouge de colère. Alors le fait de ne pas en avoir lui donne le droit d’abuser de ces femmes, c’est ça ?

— Je dis juste que coucher leur a permis d’arriver à leurs fins, point barre. Alors jouer les mères la pudeur aujourd’hui…

— Toutes des putes en somme ? conclut Léa.

— Et des salopes ! ajoute Max, jouant la provoque jusqu’au bout. Tout le milieu du cinéma sait que Weinstein est le plus grand queutard d’Hollywood, alors ne me fait pas croire que les nanas qui montent dans sa piaule au milieu de la nuit, ne savent pas qu’elles vont passer à la casserole !

— Je ne vois pas pourquoi je discute avec toi ! et se tournant vers Rose. Et toi t’en penses quoi, tu dis rien ?

Le regard de Rose passe de son amie à Max, pour replonger très vite dans son verre.

— Ah ben oui je suis bête, toi t’as pas d’avis ! hein  madame Soumise ? Pourtant tu devrais avoir des choses à dire depuis le temps que t’es mariée à un con ?

Paniquée par la tournure que prend la conversation, le regard de Rose va de l’un à l’autre tel un essuie-glace.

— T’en n’as pas marre d’être soumise et fermer ta gueule ? C’est ça regarde le fond de ton verre,  poursuit Léa soudain pleine de mépris, avec un peu de chance tu y retrouveras ta dignité.

— Hé, calme-toi ! intervient Fred. Ce n’est qu’une discussion.

— Comment tu veux discuter avec l’autre facho, répond Léa en montrant Max. Pour lui une femme est un objet au service de sa personne : la bouffe, le ménage et les gosses. Ah j’oubliais… le cul aussi ! Hein Rose ? Un petit coup de temps en temps, même si t’as pas envie ?

Rose est pétrifiée. La tête baissée, les mains jointes entre ses jambes, elle ressemble à un lapin pris dans les phares d’une voiture.

— Arrête immédiatement dit Fred d’un ton péremptoire. Et laisse Rose en dehors de ça. Ce n’est pas parce que la situation te scandalise, que tu as forcément raison.

— Quoi ? le coupe Léa indignée.

— Les choses ne sont pas aussi tranchées que vous l’affirmez tous deux, continue Fred. Le monde n’est pas tout noir ou tout blanc. Les femmes dont on parle, ont leur part de responsabilité dans l’affaire.

— Il manquait plus que ça ! s’indigne Léa.

— Il est évident que le comportement des Weinstein et consorts est intolérable et répréhensible, poursuit Fred. Quelle que soit la situation : la violence, le harcèlement, le viol, sont toujours de la responsabilité de celui qui commet ces actes. Néanmoins ces femmes ne pouvaient ignorer quel homme il est. Pas plus qu’elles ne pouvaient ignorer qu’en montant dans sa chambre, elles prenaient un risque. Elles ont délibérément fait le choix de se retrouver seules dans un endroit intime, avec un pervers sexuel. Ce qui n’en fait évidemment pas des putes comme le pense Max, mais le choix qu’elles ont fait, c’est de leur responsabilité.

— Quand un homme te propose de le rejoindre dans sa chambre la nuit, enchaîne Max, tu te doutes bien que c’est pas pour compter les mignonnettes dans le frigo !

— Oh ferme-là toi ! lance Léa.

— OUI, FERME LA ! 

Les mots claquent comme un coup de fusil dans la pièce. Tous les regards convergent sur Rose. Elle a les yeux rivés sur son mari. Son visage est décomposé, ses yeux embués de larmes. D’un coup, elle éclate en sanglots en cachant son visage dans ses mains. Léa se précipite vers elle, la saisit par l’épaule et colle son visage contre le sien. « excuse-moi ma Rose. Je me suis emportée, je suis désolée, c’est pas ce que je voulais dire, je… »

Rose se dégage et se lève.

— Non c’est toi qui a raison. Je ne suis qu’une conne soumise qui s’est tue trop longtemps.

— Rose ! crie Max dont le visage a changé de physionomie

— Quoi, tu vas me frapper ? Me violer te suffit plus ? Ça te va bien de faire ce beau discours. Tu ne vaux pas mieux que tous ces porcs. Tu me dégoûtes !

Max se lève d’un bond, le regard noir. Les poings serrés il avance sur son épouse.

D’un même élan Fred et Léa sautent de leur siège et se placent devant Rose.

— Maintenant Rose va rentrer avec moi dit Léa en toisant Max. Quant à toi, trouve toi un bon avocat. Tu vas en avoir besoin, compte sur moi.