Ecriture et réécriture

par | 30 Juin 23 | Techniques d'écriture

En dédicace, lieu privilégié d’échanges entre les lecteurs et les auteurs, on me demande souvent comment je m’y prends pour écrire. Si j’ai un plan, si j’écris au fil de l’eau, si la première version est la version définitive, etc.

Je vous ai raconté dans un précédent article comment j’organisais mes histoires en utilisant la technique du séquencier, mais je ne vous ai pas encore parlé de l’écriture en elle-même.

Je vais tenter de combler cette lacune.

Lorsque j’ai écrit Projet Hurricane, j’ai voulu que ce soit immédiatement le plus parfait possible, car j’avais l’intention de faire lire le texte au fur et à mesure à quelques personnes de mon entourage. Comme je n’avais pas envie qu’ils me prennent pour une truffe, je me suis appliqué à leur communiquer un texte que j’espérais très proche de la version définitive.

L’exercice m’a pris beaucoup de temps, car le mot qui exprime très précisément ce que vous voulez dire ou faire ressentir au lecteur ne vient pas forcément du premier coup. C’est parfois assez long pour parvenir à exprimer précisément et justement sa pensée. « Ouvrager » ses phrases est long. Très long. Trop long ! Mais j’y suis parvenu, et après de longs mois de travail, j’ai pu écrire le mot « Fin » à mon manuscrit. Ou « à suivre », comme vous le savez maintenant.

Le hasard (mais existe-t-il vraiment ?) a fait qu’à cette époque, j’ai rencontré un auteur confirmé qui m’a parlé de « réécriture ». Je l’entends encore me dire : « Réécrire, c’est écrire ». Ha ha ha ! Comme il m’a fait rire ! J’avais passé un an sur mon texte. Il était presque parfait, qu’avais-je besoin de réécrire. Peut-être, changer un mot ou une phrase par-ci par-là tout au plus !

Fort de cette certitude, je me suis donc plongé dans la lecture de mon roman pour vérifier que tout était OK. Et là, oh surprise ! Ce n’était pas aussi bon qu’il m’avait semblé quelques mois plus tôt.

Il s’était écoulé quasiment un an entre l’écriture du premier chapitre et cette lecture. Dans l’espace, il est probable que mon style avait quelque peu évolué, tout comme mon niveau d’exigence. Qu’avait-il dit déjà le petit malin ? « Réécrire, c’est écrire » ? J’ai relu plusieurs chapitres, je l’ai maudit, et… j’ai réécrit !

J’ai effacé la larme à l’œil des centaines de lignes, des dizaines de paragraphes et de pages que j’avais mis des heures, des jours, à ouvrager pour qu’ils soient parfaits. Le croyais-je à l’époque, naïf que j’étais.

Que de temps perdu !

Vous l’avez compris, un roman, tout comme le mail que vous rédigez à l’attention de votre directeur, ne s’écrit pas en un jet. Sauf à être un génie, chose que je ne suis pas. Mais ça, vous le saviez déjà, ingrats que vous êtes.

Il y a au moins deux jets. Le premier, ni très précis, ni très bien écrit, dans lequel on raconte son histoire, et le définitif, celui qui part chez l’imprimeur et que vous lisez, amis lecteurs.

Certains auteurs rédigent beaucoup plus de jets avant d’arriver à la version définitive. L’été dernier, j’ai eu la chance de discuter avec Bernard Werber, et il m’a avoué qu’il avait écrit dix-sept versions du premier tome des Fourmis. Joël Dicker procède un peu de la même façon. Il écrit et réécrit plusieurs fois ses romans.

Donc pour répondre à la question que l’on me pose parfois : « L’écriture des deux romans vous a-t-elle pris le même temps ? ». La réponse est non. J’ai écrit plus rapidement les Suprématis, car je suis allé beaucoup plus vite sur le premier jet. La réécriture et autres corrections (orthographe, syntaxe, ponctuation, répétitions…) ont été plus ou moins identiques.

Pour finir, vous vous demandez peut-être s’il y a beaucoup de différences entre le premier jet et la version finale. Je vous donne la réponse ci-dessous avec le chapitre 58 des Suprématis.

À gauche, le premier jet et à droite, la version que vous trouvez dans le livre.

Qu’en dites-vous ?

PREMIER JET DU CHAPITRE 58
DES SUPREMATIS

Les balles sifflent de toutes parts. Le vacarme est assourdissant. Les tirs d’armes automatiques se succèdent à intervalles réguliers. Simon ne sait pas où sont ses compagnons et pour l’instant il n’en a que faire. Kane est à terre.
Simon rampe le plus vite qu’il peut vers son amie. La première chose qu’il voit, ou plutôt qu’il ne voit pas, une fois arrivé à ses côtés, c’est des traces de sang. La combinaison de Kane est sale, mais intacte. Il se penche et colle une oreille sur sa poitrine. Le cœur bat normalement et la respiration est régulière. Simon pousse un grand soupir de soulagement. En la voyant étendu de tout son long il a imaginé le pire. Délicatement il écarte les mèches de cheveux de son visage et remarque la bosse sur son front. Le haut du mur derrière lequel ils étaient cachés a littéralement explosé sous l’impact des balles. Des morceaux de briques jonchent le sol. L’un deux a dû venir percuter Kane et cela l’aura étourdie.
— Kane, réveillez-vous ! souffle Simon en lui tapotant la joue. Il ne faut pas rester ici.
La jeune femme met quelques secondes pour émerger. Elle regarde Simon avec surprise et demande :
— Que s’est-il passé ?
— Vous avez été assommée par une brique. Mais ne traînons pas, vous pouvez bouger.
Kane fait signe que oui. Ils profitent d’une accalmie dans le tumulte des armes et courent se réfugier derrière le bâtiment en bois de l’îlot suivant. Des clients qui s’étaient terrés là, les regardent arriver les yeux emplis de terreur. Simon montre ses mains vides et les rassure autant qu’il le peut. Il leur recommande de rester à l’abri et de ne pas bouger. Il jette un regard autour de lui et ne voit plus les membres du commando. Pourtant ils ne doivent pas être très loin s’il se fie au bruit des armes. Ils ont quasiment traversé tout le complexe commercial. La sortie opposée n’est plus très loin. « Si nous arrivons jusque là, nous pourrons nous perdre dans la foule au bénéfice de la panique ambiante, songe Simon avec espoir. Mais faut-il encore y parvenir ! ».
Soudain, le chauffeur du van surgit sur le côté, l’air fébrile.
— Ils ont reçu des renforts et ils sont en train de nous encercler, lance-t-il dans un souffle. Il faut décamper d’ici et se replier dans un des magasins.
Simon n’a pas le temps de donner son avis que le colosse le saisit d’une main, kane de l’autre et les entraîne avec lui dans le magasin de décoration qui se trouve sur le côté. À ses portes, deux membres du commando tirent sans discontinuer pour couvrir leur retraite.
Une fois à l’abri à l’intérieur, Kane regarde autour d’elle et lâche :
— Cela ne vous rappelle rien ?
— Nous nous retrouvons dans la même situation qu’au centre, répond Simon. S’il n’y a pas de sortie à l’arrière, nous sommes fait comme des rats.

CHAPITRE 58 DU LIVRE

Le vacarme est assourdissant. Les armes automatiques crachent la mort sans discontinuer.
Simon regarde autour de lui, mais n’aperçoit aucun membre du commando. Il est seul, et Kane est à terre.
Le cœur battant à tout rompre, il rampe aussi vite qu’il le peut vers son amie. En arrivant à sa hauteur, il pousse un soupir de soulagement, la combinaison de la jeune femme est poussiéreuse, mais ne révèle aucune tache de sang.
Quelque peu rassuré, il colle une oreille sur sa poitrine. Le cœur bat de façon régulière et la respiration est normale. Dieu soit loué, elle n’est qu’évanouie. En la voyant ainsi, étendue inanimée sur le bitume, il l’a un instant crue morte.
Délicatement, il écarte les mèches de cheveux du visage de Kane et découvre l’œuf de pigeon qui est en train de se former sur son front. Un débris a dû la percuter et cela l’aura étourdie.
— Réveillez-vous ! murmure-t-il en lui tapotant la joue. Il ne faut pas rester ici.
Kane ne réagit pas. Il doit s’y prendre à plusieurs reprises avant qu’elle émerge enfin de sa torpeur. Elle contemple Simon avec inquiétude.
— Que s’est-il passé, je suis blessée ?
— Non. Vous avez reçu un morceau de brique sur la tête et vous avez perdu connaissance. Comment vous sentez-vous ? Vous pouvez marcher ?
Kane acquiesce.
Ils profitent d’une brève accalmie dans le tumulte des armes pour se réfugier derrière le bâtiment en bois qui leur fait face. Des clients qui s’étaient terrés là se croyant en sécurité, les regardent arriver les yeux emplis de terreur. Simon les rassure en leur montrant ses mains vides. Tout en leur recommandant de rester à l’abri, il jette un coup d’œil autour de lui. Aucun signe des membres du commando, pas plus que de Martha Finnegan qu’il a perdu de vue quelques minutes plus tôt.
Ils ont quasiment traversé tout le complexe commercial. La sortie, par laquelle s’enfuient les derniers clients, est à peine à une cinquantaine de mètres. Si nous arrivons jusque là, nous pourrons nous mêler à la foule et disparaître sans problème, songe Simon avec espoir.
Soudain, Gus, le chauffeur du van déboule en courant.
— Ils ont reçu des renforts et ils sont en train de nous encercler, annonce-t-il fébrile. Nous ne pouvons pas rester ici, nous sommes trop exposés. Suivez-moi, on se replie dans une boutique.
Simon n’a pas le temps de donner son avis que l’homme le saisit d’une main, Kane de l’autre, et les entraîne avec lui dans le magasin de décoration à quelques pas. À ses portes, deux membres du commando tirent sans discontinuer pour couvrir leur retraite.
Une fois à l’intérieur, Kane reconnaît Ryan, déjà présent lors de la tentative d’exfiltration de Cinnamon. Elle le rejoint et lâche en regardant autour d’elle :
— Cela ne vous rappelle rien ?
— Si bien sûr. Il faut espérer que cette fois il y a une sortie à l’arrière.