Le séquencier

par | 10 Oct 22 | Techniques d'écriture

On me demande régulièrement dans les salons ou par mail, comment je construis mes histoires. Est-ce que je structure toute l’histoire à l’avance, ou est-ce que j’écris en suivant l’inspiration du moment sans savoir où cela va me conduire ? Ou pour le dire autrement, suis-je architecte ou jardinier ?

Vous avez peut-être déjà entendu ces termes qui définissent les deux grandes façons d’écrire pour un auteur. L’architecte, qui fait son plan et prévoit toutes les actions, et le jardinier, qui part d’un début d’idée et se laisse porter par son imagination.

Oyez, oyez, clamez-le autour de vous, je suis architecte.

Pourquoi ne suis-je pas jardinier (ça a l’air vachement plus fun !) ? Pour deux raisons :

– La première, éviter ce que tout auteur redoute et malheureusement bon nombre rencontre. Je veux parler de la page blanche. Avoir écrit cinquante, cent, cent cinquante pages et se dire : « Mince ! Et maintenant je raconte quoi ? », parce que tout a déjà été dit, trop vite !

– Trop vite est la seconde raison. Sans structure, il est assez naturel d’avancer rapidement dans l’histoire et de foncer vers sa conclusion. Avec un constat douloureux, l’intrigue et son dénouement n’ont demandé qu’une centaine de pages !

Je suis donc architecte. J’ignore comment s’organise les autres architectes, mais pour ma part j’utilise la méthode du séquencier. Elle consiste à découper l’histoire que j’ai en tête en séquences ou scènes pour reprendre un terme de cinéma, avec cinq items indispensables.

Le contenu : forcément ! Que se passe-t-il dans la séquence ? Je fais un court résumé (3 à 4 lignes) de la scène, ce qu’il s’y déroule, les protagonistes, etc.

Cela me permet de savoir quand et comment j’entre dans la séquence et comment j’en sors, ou si vous préférez, comment elle se termine. Souvent, dès cette phase de construction, je sais, ou j’ai une idée de la chute de la scène. L’idée est évidemment de tenir le lecteur en haleine, et l’inviter à lire le chapitre suivant. Principe du page turner que vous connaissez tous

La justification : qu’est-ce qui fait que cette scène est indispensable ? S’il n’y a pas de réponse claire à cette question, cela veut dire que la séquence n’est probablement pas nécessaire.

Ce point est primordial, car tout ce qui ne fait pas avancer l’histoire dans l’action, la psychologie ou l’évolution des personnages, leurs interactions, est inutile. Cela permet aussi d’éviter les répétitions. Ce qui est dit dans la scène a parfois déjà été évoqué dans une autre. La justification est un garde-fou.

Le registre : est-ce que le ton est gai, triste ? Est-ce une scène tendre, d’amour, ou est-ce qu’on s’engueule ?

Il peut arriver que l’on imagine une séquence de dialogue classique et que, pris dans le feu de l’action, l’écriture dévie et la scène devient violente ou romanesque. Ce qui change le cours de l’histoire, ou au moins une partie. Et donc, potentiellement, tout ce qui suit, et je le rappelle, que vous avez longuement préparé ! Au final, on a écrit un autre roman que celui qui avait été imaginé.

Garder le registre de la scène en tête, permet de rester dans le cadre de l’histoire. Dans ce qui a été prévu.

Le nombre de pages : j’estime à la louche le nombre de pages nécessaire à ce que je vais dire. Ce n’est pas indispensable, mais ça permet de voir quand même si une séquence est longue ou courte. Certains auteurs aiment garder une certaine cohérence de longueur dans les chapitres. Cela se fait beaucoup dans la romance par exemple. Les chapitres font à peu de chose près, tous la même longueur.

Perso, aujourd’hui, je m’en fous. Je considère qu’un chapitre est clos quand tout ce qui devait être dit l’a été.

La temporalité : à quel moment se passe la scène dans la ligne du temps de l’histoire ?

C’est un critère que j’ai ajouté pour Les Suprématis, car les actions se déroulant dans plusieurs endroits en même temps, j’ai dû veiller à la cohérence de la chronologie.

C’est particulièrement utile dans les histoires non linéaires.

Conclusion, le séquençage est un travail préparatoire long et fastidieux, mais qui fait gagner beaucoup de temps et de sérénité ensuite. On sait où on va et comment on y va.

Il présente toutefois un inconvénient, et pas des moindres. En effet, entre le moment où vous construisez votre séquencier, et celui où vous écrivez la séquence 43 par exemple, il s’est écoulé quelques semaines, voire quelques mois. De nouvelles idées, meilleures parfois, ont pu naître dans ce délai. Et là, que faire ? Nous en parlerons dans un prochain article.