Le pastiche et la parodie  

Cette consigne d’écriture demande d’exploiter des formes d’imitation appréciées en vertu des effets comiques qu’elles provoquent : le pastiche et la parodie.

Quelques notions :

Le pastiche c’est à la manière de. Il reproduit les traits caractéristiques d’une œuvre tout en prenant des distances et en y apportant une touche de créativité personnelle.

La parodie est la  transformation d’un modèle. Il s’agit d’une imitation consciente du fond ou de la forme destinée à faire rire.

Le texte à parodier ou pasticher est “La première gorgée de bière” de Philippe Delerm que voici : 

La première gorgée de bière

C’est la seule qui compte. Les autres, de plus en plus longues, de plus en plus anodines, ne donnent qu’un empâtement tiédasse, une abondance gâcheuse. La dernière, peut-être, retrouve avec la désillusion de finir un semblant de pouvoir…
Mais la première gorgée ! Gorgée ? Ca commence bien avant la gorge. Sur les lèvres déjà cet or mousseux, fraîcheur amplifiée par l’écume, puis lentement sur le palais bonheur tamisé d’amertume. Comme elle semble longue, la première gorgée ! On la boit tout de suite, avec une avidité faussement instinctive. En fait tout
est écrit : la quantité, ce ni trop ni trop peu qui fait l’amorce idéale ; le bien-être immédiat ponctué par un soupir, un claquement de langue, ou un silence qui les vaut ; la sensation trompeuse d’un plaisir qui s’ouvre à l’infini… En même temps, on sait déjà. Tout le meilleur est pris. On repose son verre, et on l’éloigne même un peu
sur le petit carré buvardeux. On savoure la couleur, faux miel, soleil froid. Par tout un rituel de sagesse et d’attente, on voudrait maîtriser le miracle qui vient à la fois de se produire et de s’échapper. On lit avec satisfaction sur la paroi du verre le nom précis de la bière que l’on avait commandée. Mais contenant et contenu peuvent s’interroger, se répondre en abîme, rien ne se multipliera plus. On aimerait garder le secret de l’or pur et l’enfermer dans des formules. Mais devant sa petite table blanche éclaboussée de soleil, l’alchimiste déçu ne sauve que les apparences, et boit de plus en plus de bière avec de moins en moins de joie. C’est un bonheur amer : on boit pour oublier la première gorgée

 

 Tous les élèves du cours ayant décidé de pasticher : la première cigarette, le premier bain, le premier baiser…, j’ai choisi de me démarquer et de parodier l’œuvre de l’auteur. Je vous laisse juge :

Le Pichepot

 

 — Goûtez-moi cette bière cousin, et dites-moi ce que vous en pensez, dit le roi Enguerran en poussant une chope devant son invité.

Roland s’empare du breuvage et le porte à ses lèvres. Il a l’œil vitreux et semble prêt à trépasser.

— Alors ? C’est autre chose que le jus de pied que vous nous servez dans votre château, non ?

— Vous ne croyez pas que vous avez assez bu ? intervient avec véhémence Aliénor.

— Mon épouse, sachez qu’on ne boit pas, répond le roi. On goûte. On déguste. On sirote ! Quand on ne saisit pas la différence, on ferme son clapet !

— C’est ça, prenez-moi pour une conne ! Il a pas l’air très frais le Roland pour un gars qui sirote !

— C’est le voyage, ça l’a épuisé.

— J’allais vous le dire ! Ça serait pas plutôt les litres de bière que vous avez picolé qui l’ont torché ?

— Mais non ! Il est frais comme un gardon, hein cousin ? se défend Enguerran en mettant une grande bourrade dans l’épaule de Roland.

Complètement ivre, celui-ci perd l’équilibre et s’écroule au sol.

— Et bien alors cousin, vous tenez plus sur votre fessard ? Au lieu de faire le mariole, attrapez-moi cette chope. J’ai mis le tonneau en perce spécialement pour vous.

Roland s’accroche aux bords de la table des deux mains et essaie péniblement de se rasseoir.

— Sauf votre respect Sire, je crois que je vais dégueuler ! et il s’affale sur le banc.

— Tu parles qu’il est fatigué ! s’exclame la reine. Quand je vous dis qu’il est rond comme un polonais cet abruti ! Je vous préviens Roland, si vous êtes malade, vous vous démerdez pour nettoyer ! se met-elle à hurler en se penchant sur son cousin.

Et s’adressant à son époux :

— Aussi vous, avec votre manie de vouloir faire goûter votre bibine à tout le monde.

— C’est pas de la bibine, c’est la meilleure bière du pays. Et Roland n’est pas tout le monde, c’est ma famille. Le roi des Pictes !

— Le roi des cons oui ! Regardez-le avec sa tête de pochtron et son gros pif d’alcoolo ! Vous êtes sûr qu’il est Picte ? Il viendrait pas du nord par hasard ?

— Fermez-la. Vous ne comprenez rien à la dégustation.

— S’enfiler cinq litres de cervoise dans le cornet, j’appelle pas çà de la dégustation. C’est une beuverie ! Il manque plus qu’un crincrin et des poufiasses, et on se croirait au bordel du village.

— Que les hommes se saoulent et que les femmes se donnent ! entend-on soudain tonner de sous une table.

— Pour la première partie, vous avez tout juste mon pauvre ami ! dit Aliénor écoeurée.

Gauvin, le héraut de Roland, se traîne à quatre pattes et tente de se relever en prenant appui contre la cheminée.

— Gauvain ! Je t’avais oublié ! Où étais-tu caché maraud ? clame Enguerran.

— J’étais là Sire, avec les chiens bafouille Gauvain complètement déchiré.

— Viens ici bouffon et goutte cette bière.

— Majesté, j’ai les dents du fond qui baignent, je peux plus rien avaler.

— Qui parle de boire ? Je t’invite à goûter. Déguste pour une fois, et dis-moi ce que ça t’inspire.

— Vous le prenez pour un œnologue ou quoi ? ironise la reine. Qu’est-ce que vous voulez que çà lui inspire ? s’emporte-t-elle. Il est cramé ! Déjà beau qu’il se souvienne que vous êtes son roi.

— Vous n’avez pas de la tapisserie à faire vous ? crie Enguerran exaspéré. Allez donc voir sur les remparts si j’y suis.

— Allez-y vous-même si vous arrivez à vous lever. Et puis tout à l’heure, ce n’est pas la peine de vous pointer dans ma couche dans cet état. Vous irez pioncer chez l’une de vos maîtresses.

— Qui sera plus aimable que vous, ma Reine, minaude le roi.

— C’est ça, nous en reparlerons demain quand vous aurez gerbé dans ses draps.

— Vous êtes mauvaise. C’est à cause de femmes comme vous qu’on picole.

— Ben voyons ! Comme si vous aviez besoin d’une raison pour vous bourrez la gueule !

— Oui, ma dame ! C’est pour oublier votre méchanceté et vos perpétuels sarcasmes !

— Laissez-moi rire ! Vous passez la moitié de l’an sur les chemins à vous mettre sur la tronche avec tous les trous de cul qui franchissent les frontières du pays, et quand vous daignez enfin rentrer, c’est pour vous pinarder et trousser tout ce qui porte un jupon ! Je vous rappelle que je suis la reine, se met-elle soudain à hurler, et que si vous désirez un héritier, il va falloir me monter sur le paletot un de ces jours ! À jeun si possible !

Le roi met une claque à Gauvin qui se redresse en lâchant un rot sonore.

— Lève ta chope maraud, on va boire à mon filliot. Prenez-en une aussi ma chère !

— Non merci décline Aliénor. Pour me saouler, il me suffit de vous écouter.

— Tu entends çà Gauvin ? Quelle répartie ! Vous voyez, c’est ça que j’aime chez vous ma dame. Votre esprit, dit Enguerran flatteur.

— Après la bière, vous voulez dire, ironise la reine.

— Nous trinquerons donc sans vous ! Gauvin, levons nos verres à ma descendance !

Aliénor les regarde d’un œil où se mêlent désespoir et dégoût.

— Quelque chose à redire ma reine ? interroge Enguerran.

— Non rien. Enfin… si quand même. Je vous signale que votre œnologue de compet’, vient de s’enfiler le pichepot ! Ah pour sûr que question dégustation, vous avez trouvé votre homme !

FIN

Pichepot : récipient dans lequel on recueillait les urines dans les châteaux

Pictes : confédérations de tribus vivant en Écosse avant l’invasion de l’ile de Bretagne par les Romains

Si vous avez lu la consigne d’écriture et le texte support (La première gorgée de bière), il ne vous a pas échappé que je suis passé complètement à travers l’exercice demandé ! Je n’ai absolument pas parodié le texte de Philippe Delerm.

Ma nouvelle parle effectivement de bière, mais la référence s’arrête là, j’ai raté tout le reste et il est impossible en lisant “Le Pichepot” de se dire : “Tiens, ça me fait penser à La première gorgée de bière de Philippe Delerm !”. Ou alors, c’est que vous êtes encore plus tordu que moi. 

En revanche, cela a dû vous faire penser à “Kaamelott”, le format court d’Alexandre Astier. C’est complètement involontaire, mais c’est le genre d’humour que j’adore, il n’est donc pas étonnant qu’ayant voulu écrire un texte drôle, je sois parti dans cette direction.

C’est la nouvelle que j’ai écrite la plus vite. Je  n’y ai pas passé une heure, cela coulait tout seul et j’ai pris énormément de plaisir à l’écrire. J’espère que vous aussi à la lire !