Le pichepot

(récipient dans lequel on recueillait les urines dans les châteaux)

— Goûtez-moi cette bière cousin, et dites-moi ce que vous en pensez, lance le roi Enguerran en poussant une chope devant son invité.

Roland s’empare du gobelet et le porte à ses lèvres. Il a l’œil vitreux et semble prêt à trépasser.

— Alors ? C’est autre chose que le jus de pied que vous nous servez dans votre château, non ?

— Vous ne croyez pas que vous avez assez bu ? intervient avec véhémence la reine Aliénor.

— Mon épouse, sachez qu’on ne boit pas, répond son mari. On goûte, on déguste, on savoure ! Quand on ne saisit pas la différence, on ferme son clapet !

— C’est ça, prenez-moi pour une conne ! Il a pas l’air très frais le Roland pour un gars qui déguste !

— C’est le voyage, ça l’a épuisé.

— J’allais vous le dire ! Ça serait pas plutôt les litres de bière que vous vous êtes enfilés qui l’ont torché ?

— Mais non, vous délirez ma mie ! Il est frais comme un gardon, hein cousin ? se défend Enguerran en lançant un grand coup de poing dans l’épaule de Roland.

Complètement ivre, celui-ci perd l’équilibre et s’écroule au sol.

— Et bien alors cousin, vous tenez plus sur votre fessard ? Au lieu de faire le mariole, attrapez-moi cette chope. J’ai mis le tonneau en perce spécialement pour vous.

Roland agrippe le bord de la table des deux mains, et tente péniblement de se relever.

— Sauf votre respect Sire, je crois que je vais dégueuler !

Et il s’affale sur le banc.

— Tu parles qu’il est fatigué ! s’exclame la reine. Quand je vous dis qu’il est rond comme un polonais cet abruti ! Je vous préviens Roland, si vous êtes malade, vous vous démerdez pour nettoyer ! se met-elle à hurler en se penchant sur son cousin.

Puis se tournant vers son époux :

— Aussi vous, avec votre manie de vouloir faire goûter votre bibine à tout le monde.

— C’est pas de la bibine, c’est la meilleure bière du pays. Et Roland n’est pas tout le monde, c’est mon cousin, le roi des Pictes ! Le sang de mon sang.

— Le roi des cons oui ! Regardez-le avec sa tête de pochtron et son gros pif d’alcoolo ! Vous êtes sûr qu’il est Picte ? Il serait pas Breton plutôt ?

— Fermez-la. Vous ne comprenez rien à la dégustation.

— S’enfiler cinq litres de cervoise dans le cornet, j’appelle pas çà de la dégustation. C’est une beuverie ! Il manque plus qu’un crincrin et des poufiasses, et on se croirait au bordel du village !

— Que les hommes se saoulent et que les femmes se donnent ! entend-on soudain tonner de sous une table.

— Pour la première partie, vous avez tout juste mon pauvre ami ! maugrée Aliénor écoeurée.

Gauvin, le héraut de Roland, se traîne à quatre pattes et tente de se relever en prenant appui contre la cheminée.

— Gauvain ! Je t’avais oublié ! Où étais-tu caché maraud ? s’exclame Enguerran un grand sourire aux lèvres.

— J’étais là Sire, avec les chiens bafouille Gauvain complètement déchiré. J’ai fait une petite sieste.

— Viens ici bouffon et goutte cette bière.

— Majesté, j’ai les dents du fond qui baignent, je peux plus rien avaler.

— Qui parle de boire ? Je t’invite à goûter. Déguste pour une fois, et dis-moi ce que ça t’inspire.

— Vous le prenez pour un œnologue ou quoi ? ironise la reine. Qu’est-ce que vous voulez que çà lui inspire ? s’emporte-t-elle. Il est cramé ! Déjà beau qu’il se souvienne que vous êtes son roi.

— Vous n’avez pas de la tapisserie à faire vous ? crie Enguerran exaspéré. Allez donc voir sur les remparts si j’y suis.

— Allez-y vous-même si vous arrivez à vous lever. Et puis tout à l’heure, ce n’est pas la peine de vous pointer dans ma couche dans cet état. Vous irez pioncer chez l’une de vos maîtresses.

— Qui sera assurément plus aimable que vous, minaude le roi.

— C’est ça, nous en reparlerons demain quand vous aurez gerbé dans ses draps.

— Vous êtes mauvaise. C’est à cause de femmes comme vous que les honnêtes hommes picolent.

— Ben voyons ! Comme si vous aviez besoin d’une raison pour vous bourrez la gueule !

— Oui, ma dame ! C’est pour oublier votre méchanceté et vos perpétuels sarcasmes !

— Laissez-moi rire ! Vous passez la moitié de l’an sur les chemins à vous taper sur la tronche avec tous les trous de cul qui s’approchent des frontières du pays, et quand vous daignez enfin rentrer, c’est pour vous pinarder et trousser tout ce qui porte un jupon ! Je vous rappelle que je suis la reine, se met-elle soudain à hurler, et que si vous désirez un héritier, il va falloir me monter sur le paletot un de ces jours ! À jeun si possible !

Le roi colle une claque à Gauvin qui se redresse en lâchant un rot sonore.

— Lève ta chope maraud, on va boire à mon filliot. Prenez-en une aussi ma chère !

— Non merci décline Aliénor. Pour me saouler, il me suffit de vous écouter.

— Tu entends çà Gauvin ? Quelle répartie ! Vous voyez, c’est ça que j’aime chez vous ma dame. Votre esprit, dit Enguerran flatteur.

— Après la bière, vous voulez dire, ironise la reine.

— Nous trinquerons donc sans vous ! Gauvin, levons nos verres à ma descendance !

Aliénor les regarde d’un œil où se mêlent désespoir et dégoût.

— Quelque chose à redire ma dame ? interroge le roi.

— Non rien. Enfin… si quand même. Je vous signale que votre œnologue de compet’, vient de s’enfiler le pichepot ! Ah pour sûr que question dégustation, vous avez trouvé votre homme !